Orientation sexuelle et identité de genre - 11 juillet 2018

Quelles solutions innovantes pour une meilleure intégration professionnelle des réfugiés ?

Aujourd’hui, comment traiter de l’insertion des personnes réfugiés ? Définitions, chiffres clés, et parmi toutes les initiatives émergentes, deux exemples : l’association Action Emploi Réfugiés et le programme MEnt de l’association MakeSense, au travers de leur approche et des actions développées. 

Deo est traducteur. Il est congolais et réfugié en France depuis 2009. Photographie de Benjamin Loyseau dans le cadre de l’exposition « Talents en exil – Réfugiés à Paris »

En 2017, les demandes d’asile en France ont augmenté de 17,5% par rapport à 2016, soit un total de 100 755 demandes déposées à l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (soit 7,5% du total des demandes en Union Européenne). Au final, la France a octroyé le statut de réfugié à 42 840 personnes en 2017.

Personne réfugiée, « migrant économique », quelle est la différence ?

Une personne réfugiée est une personne qui craint avec raison d’être persécutée dans son pays (pour des raisons politiques, religieuses, ethniques etc.) et dont la demande d’asile a été validée dans son nouveau pays d’accueil. Une fois le statut de réfugié acquis, les personnes réfugiées relèvent du droit commun en France.

L’OFPRA a mis l’accent sur la protection des femmes victimes de violences (notamment les plus jeunes, qui encouraient le risque de mutilations sexuelles), des personnes persécutées en raison de leur orientation sexuelle, des victimes de la traite des êtres humains,  des victimes de violences conjugales, des mineurs isolés, des victimes de torture,…

Un « migrant économique » est une personne ayant fait le choix du déplacement pour de meilleures perspectives (travail, éducation, regroupement familial,…) pour lui et sa famille. La grande différence entre ces deux types de population est donc le choix de déplacement, forcé pour l’un et volontaire pour l’autre.

L’intégration professionnelle des personnes réfugiées

Selon le Parlement Européen, il faut en moyenne 5 à 6 ans pour que 50% des personnes réfugiées intègrent le marché du travail. De plus, elles sont confrontées à différents obstacles, notamment :

  • La barrière de la langue,
  • Des informations insuffisantes sur le marché du travail
  • Une reconnaissance difficile des qualifications étrangères, des compétences et des expériences acquises dans leur pays.

Pour lutter contre ces obstacles, plusieurs initiatives et programmes existent.

Une plateforme innovante : Action Emploi Réfugiés

Nous avons rencontré Violette, responsable des programmes, qui travaille depuis 8 ans déjà auprès des personnes réfugiées et sa collègue Laura, ancienne analyste financière et responsable du développement entreprise chez Action Emploi Réfugiés.

L’association a été créée il y 2 ans et demi suite à la crise européenne de 2015, concernant l’accueil des personnes réfugiées dans les différents pays. Pour les deux fondatrices, Diane Binder et Kavita Brahmbhatt, l’accès à l’emploi et à la formation étaient le meilleur moyen pour ces personnes de s’intégrer et s’insérer en France. En 6 mois, leur initiative est passée d’un groupe Facebook de mise en relation à un site Internet et des programmes d’accompagnement.

Malgré sa petite taille, AERé a une portée internationale et des partenaires de renom tel que la Commission Européenne, l’Organisation Internationale pour les Migrations, l’OCDE et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés entre autres.

Alors concrètement comment cela fonctionne ? Leur mission est de faire le lien, via leur plateforme, entre les personnes réfugiés et les employeurs mais aussi d’offrir un accompagnement spécifique à ces deux publics.

AERé a aussi une mission d’information et de plaidoyer auprès des Nations-Unis, de la Commission Européenne,  des entreprises mais aussi envers le grand public afin de changer le regard et les stéréotypes sur les personnes réfugiées. En 2016, AERé a exposé des portraits de personnes réfugiées lors de la campagne ‘Talents en Exil’ sur la place de la République à Paris).

Chez Action Emploi Réfugiés on est aussi féministe ! Un programme spécifique pour mobiliser plus de femmes réfugiées (elles  rencontrent plus de freins que les hommes, avec notamment la garde des  enfants par exemple) a été mis en place afin de créer un espace et des solutions pour que ces femmes réfugiées puissent aussi s’intégrer via l’emploi. Mais l’ambition d’AERé ne s’arrête pas là ! L’ouverture d’antennes en régions (après celle de Bordeaux depuis septembre 2017) est prévu, la collaboration avec d’autres structures internationales, la mobilisation de toujours plus d’entreprises pour l’insertion des personnes réfugiées ou encore le développement d’outils tech et innovants pour l’accompagnement humain.

La diversité des profils et des parcours d’accompagnement

Chez AERé, on remarque tout de suite la diversité des profils accompagnés ! Chacun va à son rythme et avec ses compétences, il n’y a pas de sélection des profils, ni même de limitation de temps dans l’accompagnement : « un parcours professionnel se fait en différentes étapes et nous voulons être présents à la première mais aussi la deuxième, la troisième,… jusqu’à la concrétisation du projet professionnel ».  Les personnes réfugiées peuvent aussi être orientées vers une formation plutôt qu’un emploi. En effet, certaines personnes exercent des professions règlementées et ne peuvent pas être en mesure de les exercer en France, dans le secteur médical par exemple.

Mais quel est le profil professionnel type d’une personne réfugiée ? « Il n’y en a pas ! » nous répond Violette. En effet, ces personnes ont la particularité d’avoir vécu un parcours d’exil, en traversant plusieurs pays. Elles ont donc travaillé depuis le départ de leur pays d’origine pour avoir des ressources financières et ont ainsi acquis des compétences nouvelles, appris de nouveaux métiers et de nouvelles langues. Cela présente un avantage : les personnes réfugiées sont très motivées et ont une palette de compétences exceptionnelle. « C’est très rare d’avoir une personne qui n’a exercé qu’un seul métier. Un afghan que nous avons rencontré la semaine dernière était poseur de mosaïque dans son pays, il a appris le BTP sur le chemin puis a effectué le métier de fleuriste en Belgique, mais à son arrivée en France il voulait suivre une autre formation car il en avait assez des fleurs ! ». Il ne faut pas oublier que ces personnes vont reconstruire leur vie en France avec des envies et des projets professionnels propres à chacun, et  parfois la volonté de faire un métier différent. Leur volonté la plus forte : prendre part à la vie économique de la société, et ainsi, faire réellement partie de ladite société.

Des actions avec et pour les entreprises        

Ainsi, au niveau des entreprises, il faut distinguer deux catégories :

  • les grandes entreprises qui ont des besoins de recrutement tout au long de l’année
  • les secteurs et métiers en tension qui ont du mal à recruter

« Nous leur ouvrons un nouveau champ de possible en terme de compétences, en adéquation avec leurs besoins.» nous explique Laura.

Pour les entreprises, un des plus gros challenge est la langue « il faut être prêt à faire cet effort car il est prouvé que l’on apprend plus rapidement une langue sur le lieu du travail » nous explique Violette. La reconnaissance des diplômes étrangers, de l’expérience et des compétences acquises demande donc aux entreprises d’être plus flexibles et de penser autrement.

Il existe aussi beaucoup de stéréotypes et d’inquiétudes face aux démarches administratives et aux processus d’ouverture de droits et d’accès au logement. AERé intervient donc sur des actions de non-discrimination, sur la juridiction autour du statut de réfugié et également sur des « ateliers d’insertion » pour les personnes réfugiées. En effet, elles peuvent parfois manquer de repères lors des processus de recrutement (beaucoup plus informels dans certains pays) et sur la culture du travail en France « En République Démocratique du Congo, on ne regarde pas droit dans les yeux ses supérieurs par exemple, alors qu’en France cela peut être interprété comme quelqu’un qui fuit ou qui ne communique pas bien ».

Ainsi, pour qu’un matching personne réfugiée/employeur soit réussi, l’outil tech ne suffit pas. Il faut avoir une certaine souplesse et ne pas s’attacher uniquement au profil des personnes : « C’est presque du sur-mesure mais cela permet de penser autrement le recrutement ». L’accompagnement humain est donc essentiel mais aussi la collaboration : « notre rôle est de faire le lien avec les employeurs mais aussi avec les autres associations. Les personnes les plus accompagnées sont celles qui s’intègrent le mieux. »

Leur plus belle réussite ?

« Hafiz, un afghan qui ne parlait presque pas français, et peu anglais. Nous avons proposé à l’employeur de recruter autrement : par son savoir-faire. Hafiz est couturier-tailleur et l’employeur lui a demandé de faire un vêtement. Voyant son talent, il l’a embauché. Depuis 1 ½ an maintenant, il est en CDI (il a pu avoir un accès au logement grâce à son emploi), il aime son métier, il parle bien français et il gagne bien sa vie !  Et il a aussi pu avoir un accès au logement grâce à son emploi.»

A travers l’emploi, les personnes réfugiés vont rencontrer des personnes françaises, s’insérer dans la société, se créer un tissu social et acquérir une autonomie financière. Ils vont reconstruire leur vie en France et s’épanouir ici.

L’entrepreneuriat comme vecteur d’insertion professionnelle

S’intégrer dans l’emploi peut également se faire via l’entrepreneuriat. Nous avons rencontré Loan, responsable du programme MEnt (Migrant Entrepreneurs), porté par l’association MakeSense et créé et financé par la Commission européenne. C’est un programme d’incubation et de mentoring, implanté dans 5 incubateurs dans 5 pays européens, qui offre l’opportunité à des personnes réfugiées d’être soutenues dans les premières étapes de leurs projets entrepreneuriaux. Loan a commencé comme mentor d’un des réfugiés entrepreneurs avant d’être en charge du programme depuis janvier 2018.

Ce programme pilote, dont c’est la deuxième promotion doit servir à faire un retour méthodologique sous forme de guide à la Commission Européenne pour créer à plus grande échelle des programmes d’accompagnement d’entrepreneurs réfugiés.

Le fonds de dotation FAIRE (Fond d’Action et d’Innovation des Réfugiés Entrepreneurs), qui soutient des initiatives pour ou par les réfugiés entrepreneurs, finance une partie du programme ainsi qu’une bourse pour les entrepreneurs de Ment.

Le programme d’accompagnement MEnt

Il s’étend sur 6 mois et est partagé entre l’accompagnement fourni par MakeSense d’un côté et par les mentors et experts de l’autre. Après un diagnostic initial pour définir les objectifs du projet entrepreneurial, l’accompagnement démarre, ponctué de formations, du suivi individuel par MakeSense et par un expert.

Le rôle de Loan est donc de faire le lien avec la Consortium Européenne, MakeSense et les mentors bénévoles mais aussi d’animer la communauté d’entrepreneurs en organisant des événements et en favorisant les liens entre eux. Elle assure également le suivi individuel (2H/mois et par entrepreneur) ainsi que diverses formations proposées par MakeSense pour les entrepreneurs de MEnt : comprendre son marché, faire un story-board, assurer le financement, définir le statut juridique,… toutes les bases de gestion et de création de projet d’un programme d’entrepreneuriat classique !

Le projet a-t-il une vocation sociale ou environnementale ? Est-ce que le problème est urgent ? Est-ce que l’innovation est forte ? Ce sont les trois questions que Loan se pose pour sélectionner les bénéficiaires du programme, même si elle admet une certaine souplesse par rapport aux projets incubés chez MakeSense « à partir du moment où il y a une volonté d’améliorer, avec un impact positif, et que cela rentre dans nos valeurs, c’est suffisant ! » nous explique Loan. Quels sont les types de projets que l’on peut trouver ? Une association animée par des réfugiés pour soutenir l’intégration des réfugiés en France, une agence de tourisme innovante qui propose de découvrir Paris et son architecture grâce à la réalité virtuelle, une entreprise qui facilite la collecte de déchets pour les professionnels, une entreprise qui propose de découvrir la culture syrienne grâce à la gastronomie,…

Les projets n’ont pas forcément un rapport direct avec les métiers d’origine ; comme chez Action Emploi Réfugiés, leur exil leur permet de changer de voie et/ou de secteur.

Cette grande diversité de projets reflète aussi la diversité des origines : Bangladesh, Guinée, Syrie, Somalie, Pakistan, Sénégal, Palestine,…

L’objectif de Loan pour pérenniser le programme MEnt ? Travailler sur un parcours d’entrepreneurs réfugiés avec d’autres acteurs afin de commencer par une réflexion sur l’idée du projet, son lien avec le parcours d’exil, l’entrepreneuriat, le modèle économique… afin de bénéficier d’un accompagnement plus complet. Encore une fois, la co-création et la collaboration entre acteurs du terrain est très présente et primordiale.

Impact en tant qu’incubateur ou impact en tant qu’accompagnant ?

« Est-ce que l’objectif est que les entrepreneurs réfugiés réussissent leur projet ou qu’ils réussissent à s’intégrer ? Si la moitié des entrepreneurs arrêtent le programme au milieu parce qu’ils ont trouvé un travail entre temps, tant mieux ! ». L’idée est donc de les intégrer professionnellement via l’entrepreneuriat et la création de projets mais ce n’est pas une fin en soi. Le programme leur permet d’avoir une position pro-active : se créer un réseau, comprendre le fonctionnement français de ce secteur, rencontrer des acteurs dans le domaine qui leur plait, s’épanouir avec d’autres acteurs et in fine de créer leur propre écosystème.

« Le projet d’un entrepreneur est de créer une unité de bio-méthanisation, mais cela lui prendrait des années pour monter son projet. Dans ses recherches il rencontrera surement sur une entreprise ou quelqu’un qui sera intéressé par son projet. C’est une porte d’entrée plus simple. » Que le projet réussisse ou non, ce n’est pas un échec : l’entrepreneuriat est un tremplin pour atteindre leurs objectifs professionnels.

Le plus du programme Ment ? Les entrepreneurs n’ont pas besoin d’avoir le statut de réfugiés mais seulement d’être demandeur d’asile. Ils peuvent ainsi commencer à travailler sur leur projet et s’insérer sur le marché de l’emploi dès le début de leurs démarches administratives. En effet, une insertion précoce est un facteur de réussite pour l’intégration professionnelle et sociale.

L’entrepreneuriat permet aussi de palier la non-reconnaissance des diplômes étrangers : « beaucoup avaient un diplôme mais n’étaient pas retenu lors d’entretiens car leur diplôme n’était pas reconnu en France ou ils ne maitrisaient pas bien la langue, l’entrepreneuriat leur permet d’exercer l’activité qu’ils auraient souhaité faire, mais à leur compte ».

Propos recueillis par Pauline Pinsard 


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