- 27 février 2024

Rencontre avec Louise Guerre, Dirigeante, Groupe SERDA Archimag

Vous avez signé la Charte de la diversité il y a vingt ans, dès son lancement le 22 octobre 2004. Vous représentez l’une des toutes premières PME signataires aux côtés de grands groupes. Pourquoi avez-vous signé la Charte et comment avez-vous été sollicitée ? 

J’ai fondé l’entreprise SERDA en 1985, je suis d’une famille multiculturelle : pour moi la diversité ne devrait même pas être un sujet. J’ai été imprégnée très jeune par les différences en vivant dans d’autres pays, en parlant d’autres langues, en voyageant beaucoup avec mes parents. Pour moi, la prise de conscience de la diversité a pris effet très tôt.  

Plus tard, j’ai intégré le Centre des Jeunes Dirigeants, dont j’ai été Présidente nationale de 2000 à 2002. Le thème de mon mandat était ‘L’entreprise sans frontière’. A l’époque, le CJD était très franco-francais, nous avons décidé de créer un CJD au Maroc, cela m’a vraiment portée tout le temps, cette volonté de sortir des frontières.  

Lorsque la Charte de la diversité a été lancée par Claude Bébéar, Françoise Cocuelle qui avait pris le relais à la présidence du CJD de 2004 à 2006, a proposé de faire de la diversité le thème de son mandat. De nombreux événements et ateliers ont été organisés. Françoise Cocuelle a sollicité les Jeunes Dirigeants pour signer la Charte de la diversité. C’est ainsi que Sitou Gayibor, Jean-Luc Gaidon et moi-même nous sommes retrouvés en tant que dirigeants de trois PME dans cet univers de très grandes entreprises pour représenter le CJD et montrer que les PME peuvent aussi intégrer la diversité. Tous les trois, nous avons immédiatement dit oui, on y va, on fonce. 

Comment ont réagi vos collaborateurs ?  

Ils ont trouvé cela formidable que nous soyons dans les premiers signataires de la Charte de la diversité, c’était une reconnaissance de la diversité de nos propres effectifs. Je ne dis pas que nous étions en avance sur tout, mais la signature n’a généré aucun débat du côté des salariés. Tout le monde était d’accord, tout le monde a dit « bien sûr, allons-y et cela donnera l’exemple aux autres ».

 

Quelles ont été les premières actions engagées par votre entreprise ? Les actions les plus simples ? Les plus compliquées ?  

 

Du fait de mon histoire, j’ai toujours intégré la diversité dans mon entreprise. Très tôt, j’ai recruté des personnes d’origine étrangère, cela s’est fait plutôt naturellement.  

Dès les années 2000-2002, nous avions lancé avec d’autres jeunes dirigeants comme Sylvain Breuzard le concept de performance globale, c’était le début de la RSE. La performance globale pour une entreprise c’est bien sûr la performance économique, et aussi sociale, sociétale, environnementale. A titre personnel, je me suis beaucoup impliquée auprès d’Action contre la faim’, parce que je suis géographe de formation et je me suis toujours intéressée aux problématiques géographiques, environnementales et surtout à la gestion de l’eau. Et je suis encore aujourd’hui bénévole et membre du Conseil d’Administration du réseau Etincelle qui vient en aide aux jeunes décrocheurs en contribuant à leur insertion socio-professionnelle. Avec le réseau Etincelle, nous agissons directement sur les questions de diversité. Les jeunes décrocheurs que nous accompagnons peuvent être français d’origine mais aussi d’origine étrangère ou étrangers et ils subissent aussi de la discrimination. Nous organisons des sessions de découverte de l’entreprise avec les jeunes et nous avons souvent des retours de chefs d’entreprises qui nous disent « il y a des jeunes dans ce groupe qui sont géniaux. Pourquoi est-ce que moi je veux toujours un diplôme, un diplôme, un diplôme. Moi celui-ci, je l’embauche tout de suite, même s’il n’a pas de diplôme » 

La diversité était très intuitive chez moi, je suis entrée davantage dans le sujet avec la signature de la Charte de la diversité. 

Et en balayant les différents critères, je me suis dit que mon entreprise était très ouverte sur la question de la diversité des origines mais peut-être moins sur l’âge. Quand je recevais en entretien de recrutement des personnes plus âgées, j’avais des remarques des collaborateurs « Mais tu vois qui, c’est pour quel poste ? Mais alors c’est quoi son parcours, il a quel âge ? »  

Je me suis rendu compte que nous avions tendance à embaucher des jeunes. Nous en avons parlé en interne, en rappelant que dans une équipe, il ne faut pas que des juniors, aussi talentueux soient-ils, il faut aussi des gens d’expérience. Cela a permis d’avancer sur le critère de l’âge. Et puis j’avais aussi des collaborateurs qui disaient ‘chez nous, il y a zéro discrimination ». Nous nous sommes dit qu’avec les meilleures intentions, il peut y avoir de la discrimination, il faut être conscient de cela, et savoir comment nous risquons de discriminer. 

Aujourd’hui, nous avons beaucoup structuré les choses. Nous avons mis en place un baromètre social annuel depuis une quinzaine d’années. C’est un grand baromètre, vraiment complet. Nous nous basons sur l’appréciation des collaborateurs pour qu’ils nous disent s’ils estiment, eux, qu’il y a de la discrimination selon l’âge, le sexe, la couleur, l’origine, l’orientation sexuelle, par rapport à des maladies, etc 

Nous avons également un suivi des formations des collaborateurs, et un indicateur vérifiant si le suivi de la formation a permis aux collaborateurs une montée en compétences et responsabilités. 

 

Dernièrement, nous avons également engagé notre entreprise dans un nouveau modèle d’entreprise qui s’appelle la permaentreprise, un modèle beaucoup plus puissant que la performance globale, assis sur les 3 principes de la permaculture :  

  • 1er principe : prendre soin de l’humain, donc évidemment, prendre en compte la diversité, 
  • 2e principe : prendre soin de la planète 
  • 3e principe : savoir se limiter et redistribuer les surplus. 

Des critères de diversité, d’égalité femmes-hommes, de redistribution d’une partie des bénéfices aux salariés sont à prendre en compte pour être une permaentreprise. Pour moi, c’est comme une suite continue des mêmes sujets, simplement cela se structure davantage 

 

Vos ambitions et les chantiers restant à mettre en œuvre ? 

Le message que j’aimerais porter auprès des PME, c’est que la diversité et la RSE ne sont pas réservées aux grands groupes, la permaentreprise, ce n’est pas que pour les grands groupes, la diversité c’est un enjeu de société, donc AGISSEZ ! 

Les jeunes aujourd’hui ils ont des tas de qualités, ils ne sont pas forcément blancs d’origine avec un beau diplôme, mais les chefs d’entreprises ont quand même intérêt à ouvrir leurs yeux sur cette diversité s’ils veulent recruter des gens talentueux. Si vous n’êtes pas absolument convaincu, faites-le parce que l’avenir de votre entreprise en dépend peut-être. 

Les grands groupes pourraient également davantage agir auprès de leur réseau de prestataires, de fournisseurs, de sous-traitants pour les sensibiliser à la RSE et à la diversité.  

Enfin, il ne faut pas seulement dire que la diversité c’est beau et c’est généreux. Il faut aussi dire que là où il y a du racisme et de la discrimination, il faut dire non. Il faut refuser, c’est comme cela qu’on fera bouger des choses.

 


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